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10 juil. 2012

Fulgure: "J'attendrai"

       Au carmin de tes lèvres
       La rosée de mon sang
       A l'ardeur de ta fièvre
       Nos murmures d'antan

       Revoyons-nous en rêve
       Pour rattraper le temps
       N'accordons nulle trêve
       A nos doux sentiments


Comme d’habitude je caresse la main où j’ai un souvenir de tes dents – tu l’avais recouverte d’un petit baiser, mais toujours les baisers effacent leurs traces pour graver des frissons, tout comme l’écho des plus beaux rires se perpétue à l’infini dans le creux de l’oreille. Je ne t’écris jamais que lorsque le soleil est couché, car je ne veux pas qu’il lise des mots que je réserve à une autre étoile. Quand je pose la plume je suis pâle comme la lune et je regarde le ciel, où scintillent les reflets de ce que mes sens ont imprimé de toi. Je repense au sel, au sable, aux vagues de notre première rencontre, ta peau cuivrée, tes cheveux en crinière, l’au-revoir qui avait de trop près suivi le premier sourire. « Perle » n’est pas ton nom, mais c’est ce qu’il veut dire, et c’est au bord de l'eau que je t’ai rencontrée. Une sirène, tu devais repartir. Moi, trop bien élevé, ai voulu te laisser un souvenir de moi. Comme je n’avais rien, j’ai détaché un bout de mon cœur pour te le donner. J’aurais dû savoir qu’on ne peut pas vivre correctement sans un cœur entier. J’aurais dû prévoir que nos chemins ne se croiseraient plus avant des années. Alors j’écris parce qu’il faut bien faire quelque chose en t’attendant.


       Au carmin de tes lèvres
       La rosée de mon sang
       Perle j'ai pris ta fièvre
       Dans ce baiser d'enfant




L'exercice de type "fulgure" impose une taille limite au texte: 1500 caractères --> on peut en découvrir plein par ici! http://www.fulgures.com/
Contraintes pour ce texte-ci : thème "j'attendrai" + placer les mots "carmin", "chemin" et "rire".


11 juin 2012

Profession Etudiant: marionnettes 2.0!


... ça y est, elle est sortie la websérie ! - Quelle websérie ? - Ben tu sais, ce dont je t'avais parlé y a un moment, une fiction en marionnettes déblatérant sur le thème de la vie étudiante... - Ah oui, le projet pédagogique du master prod. audiovisuelle de Bordeaux 3 ! - Voilà, l'a compris. - Et où qu'on regarde ? - Juste ici : http://www.mastercpi.fr/profession-etudiant-m1-2012/


Profession Etudiant est une série web de fiction coordonnée par l’équipe pédagogique du Master « Création, Production, Images » de l’Université Bordeaux 3, et dont les épisodes sont produits, écrits, réalisés et montés par les étudiants en première année de Master.
De nature humoristique, cette série met en scène les aventures académiques de quatre étudiants bordelais : Maélie, Nikolaï, Ayaka et Vincent. Chaque épisode de cinq minutes raconte la façon dont ces amis évoluent dans le milieu de la fac, qui leur est à la fois familier et néanmoins toujours étranger. Durant leurs années d’études, c’est-à-dire pendant l’apprentissage de leur « profession d’étudiant » (l’expression vient du sociologue de l’éducation Alain Coulon), il leur faudra à la fois respecter et déjouer les règles imposées. Mais si certaines sont écrites, beaucoup d’autres, et sans doute les plus importantes, ne sont mentionnées nulle part. Or, pour contourner une norme, il faut bien commencer par la connaître…

épisode 1 "Sexe, visa & wasabi": http://youtu.be/9sYacTmMxSM
épisode 2 "Raz de marée": http://youtu.be/9sh5OaGA2FA
épisode 3 "Geeks & dragons": http://youtu.be/FmMIE0EUfmI
épisode 4 "La partie visible de l'iceberg": http://youtu.be/-i-tQurmIgw

Mais venez donc sur le site de la websérie, à la découverte des personnages, du making-of du projet, des photos de tournage...




11 mars 2012

Ne pas écrire de poésie

Je n’ai rien à faire de mes nuits, sinon dessiner. La chambre aura les murs recouverts de coquillages, et des draps en satin pour le lit. Fenêtres sur trois murs : l’une au nord, l’autre au sud, la dernière à l’ouest. Pas d’ouverture sur la terre ferme. Notre phare, à la pointe du Cotentin, tourne le dos au vieux continent. Il est très haut, érigé au sommet d’une falaise normande, comme un homme dressé qui éclaire la nuit de poissons égarés, à la pêche aux sirènes. Ma sirène à moi, je l’ai. Enfin, je ne l’ai pas, mais je la connais : Maëlle. Je la dessine aussi, à côté de notre phare, notre phare peint tout en blanc avec des rayures noires, comme les traits au crayon qu’elle esquisse sur ses paupières.

Mon chat me dit : « go to bed, abruti. »

Je dessine encore la lumière du phare, notre lumière qui guide les navires comme l’amour, lanterne immense comme un cœur qui bat, et je bois une gorgée de thé aux épices pour réchauffer le mien de cœur qui a froid. Mon chat décide que ça suffit, me prend mon crayon des mains, s’assois pour se lécher le nombril juste à côté des cours de socio éparpillés sur mon bureau, pose le crayon à côté et s’en va voir s’il ne lui reste pas des croquettes. Réveil affiche quatre heures. Plus que trois, et faudra que je me réveille. Commençons par le début !          

Dans le coin rouge : moi-même. Vincent, vingt-et-un ans, brun, mal rasé, cheveux ébouriffés, à la recherche de la position idéale pour roupiller dans l’amphi de psychanalyse de l’entreprise sans trop se faire gauler. Dans le coin bleu : des yeux de même couleur, surmontés de brun et de peau très blanche, aperçus tandis que ma tête était penchée sur mon épaule droite dans un angle de trois quarts. Une jolie sirène. Qui regarde droit devant, en direction de la prof, dont le flot de paroles parasite mon agréable instant d’observation. Elle porte un chemisier à carreaux, joue avec un stylo à pointe mordillée, a un sourcil en accent circonflexe et l’autre en accent grave. Ou aigu, suivant le côté duquel on se place.

- Monsieur Jaulin ! me gueule-t-on à l’oreille.

Ah, c’est la prof.

- Que les traits de Mademoiselle Migault vous intéressent plus que le contenu de mon cours, je l’entends bien, mais je souhaiterais un peu plus d’attention de votre part lorsque j’appelle votre nom pour traiter du sujet que vous aviez à préparer pour aujourd’hui, hmm ?

Madame Truchmann, c’est le genre de prof qui fait l’effet d’un couteau suisse : elle vous coupe, découpe, scie, tranche, poinçonne, tournevisse, tire-bouchonne, et même cure-dente et lime-à-ongle. Si je l’adore, c’est bien seulement parce que je ne l’aime pas. « Une amicale antipathie, » comme se plait à dire mon chat. Une détestation sympathique, une affection haineuse, une exécration cordiale, et cætera, et cætera, il en a plein d’autres. C’est quelqu’un, mon chat.

- Oui, Madame. Tout de suite, Madame.

C’est comme ça que j’apprends son nom : Maëlle Migault. Enfin juste le nom, le prénom je ne l’ai obtenu qu’après le cours, en retour d’un bafouillement hyper gêné à la sortie de l’amphi. Bref.

- Monsieur Jaulin, quand vous dites « tout de suite »…

Mais elle est relou, celle-là.

- Bien sûr, Madame !
- Finalement non, continuez. Votre attitude est parfaitement appropriée pour illustrer le cas d’étude que nous allons aborder au chapitre suivant. Voyez, tout le monde : Monsieur Jaulin est physiquement présent sur les bancs de cet amphi, mais son esprit se situe trois rangées plus haut légèrement sur sa droite. A présent, il ne se soucie plus du tout de productivité, performance, résultat, il n’aspire qu’à son petit confort personnel et la satisfaction d’un désir naissant. C’est donc un employé contre-productif, à qui il ne conviendrait pas de confier un poste à responsabilité, dans la mesure où il est incapable de se concentrer sur ce qui intéresse le collectif.

Oh oui, le couteau Truchmann frappe encore ! A me bourrer le crâne un jour elle finira par me sortir vraiment par les yeux. Madame Truchmann, couteau suisse, suisse de Valence, Lancelot du Lac, Lac Léman, mandragore, Goran Bregovic, viscache, cachalot, lot de pommes, pomme d’api, happy new year, à yeure qu’Issy-les-Moulineaux, poil au abdos, Ionesco, le couteau, le couteau tue, c’est du néo-espagnol : quelle belle leçon !

- Cependant, comme vous vous en doutez tous, Monsieur Jaulin ne retiendra pas grand-chose de ce que je viens de dire, l’oubliera pas plus tard que dans le tramway, et de retour chez lui n’aura en tête que le chemisier à carreaux de Mademoiselle Migault.

« Cette femme est une entremetteuse d’une efficacité redoutable ! So funny ! » s’est moqué mon chat. Moi, j’étais parti dans la cérémonie traditionnelle de l’étudiant qui rentre à son 22 mètres carré : un bol de céréales, allume un écran, pose ton cul, branle rien et procrastine. « C’est drôle, ton histoire, quand même », me dit mon chat. « Ça me rappelle mon adolescence ! »

Oui, mon chat est persuadé que, dans une de ses vies antérieures, il était une petite nana blonde prénommée Mary. Aujourd’hui, il a le poil roux et s’appelle Roland.

« Je t’avais déjà raconté, quand élève de sixième je me suis cassée la gueule au collège sur une plaque de verglas pour atterrir sur les pieds du plus beau mec de l'école, un grand de troisième, dont j'étais amoureuse of course comme toutes les petites connes du coin, et que je n'osais même pas regarder... ça l'a fait rire lui et ses copains moi aussi ça me fait rire... aujourd'hui. Ça me manque le collège, tiens ! »
Je préférais ne pas écouter Roland plus longtemps, sinon il allait vouloir me ressortir un vieil album photo de son époque Mary. Je le connais. Et après, il ira me raconter qu’être réincarné en chat, tant qu’on n’est pas obligé de rester enfermé dans un appartement, c’est pas si mal. Et que moi, dit-il, je deviendrai une taupe, ou une salamandre. Je préfère imaginer Maëlle. Par chance, on a plusieurs amis communs sur les réseaux sociaux, j’accède à quelques photos. Elle semble adorer la natation, le surf, les criques du Finistère et les lacs de montagne : j’en étais sûr, une sirène. Le genre de fille qui adorerait habiter dans un phare. Voilà pourquoi je le dessine, notre phare ouest. En petit, en grand, dans les marges des feuilles A4, sur un coin de bureau, sur une toile avec de l’acrylique.

« Ce que j’aimais, au collège, surtout, c’était porter une petite jupe le mardi pour voir le regard des garçons se concentrer sur mes cuisses, et venir le mercredi en pantalon large et observer combien regarderaient encore. »

T’es chiant le chat, je parlais de moi.

« Ça va, t’es susceptible, quand même. Si j’avais encore mes tresses blondes et mes jolis seins, même plus tu n’y penserais à ta planche-neige. Autant au collège j’étais une petite souris timide, autant à vingt ans j’avais un look de couverture de magazine. C’est mon prof d’économie qui disait ça. Je l’entends encore : hou hou, Miss Mary, que vous me semblez belle, que vous êtes jolie ! Un vrai hibou, ce prof. »

Je tente un poème : Jolie sirène aux yeux tendres / Qu’heureuse je voudrais rendre / Sortirais-tu des méandres / Une pauvre salamandre ?

« Le vieux hibou voulait me croquer, aujourd’hui c’est moi qui mange les oiseaux. C’est cool d’être un chat. »

Non, Roland, j’essaie de me concentrer… Je l’engueule, il fait la moue et ses griffes sur un de mes dessins. Très malin, je lui dis avec amertume et reproche. Il me regarde avec hauteur, me dit que ce n’est pas parce qu’une fille a une tête à aimer la poésie qu’il faut lui en écrire, qu’au lieu de faire du joli sur papier je ferais mieux de prendre soin de ma gueule, de pas avoir la physionomie du type à vie sexuelle inexistante pour la mettre en minimum en appétit. Donner un appât au poisson, quoi. Très bien. Je prends mon courage à deux mains, et mon rasoir à une seule. Tronche potable : ok. Maintenant, le grand pas : le contact via réseaux sociaux, avec peut-être option webcam. « Et t’as un devoir de psycho sociale à finir, je te rappelle ! » m’avertit le chat. M’en fous, c’est pas la psycho sociale qui m’emmènera à la conquête du phare ouest.



Exercice à contraintes "figures de style" : placer hypotypose, zeugme, harmonie imitative, oxymore, analepse, prosopopée, homéotéleute, anadiplose, gradation ascendante, métaphore filée, paradoxe et paronomase implicite.

Les histoires des autres convives :
 - "Les mots sont comme des caresses" de bertrand-môgendre
 - "Champs mêlés" de Kilis
 - "La délivrance" de polgara
 - "Hop hop hop" de Janis
 - "Sous le voile" de Phylisse
 - "Rita" d'elea
 - "Quand rugissent les meltem" de chrystie12
 - "Nina" de coline Dé
 - "Panique sur Owl Creek" de Gobu
 - "Ascension" de grieg

23 févr. 2012

Variations airbusiennes

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Une couleur : rouge ; un verbe à l'impératif : sortir ; un moyen de transport : l'avion ; un fruit : des dattes.

  
(aviation: du latin « avis », qui signifie « oiseau », et « actio », qui signifie « action »)


- Non alors écoute, Thierry, la blague du calendrier, elle ne fait plus rire personne.
- Rôôh mais quoi ? Des dattes ?
- C’est le dattier, qui est une variété de palmier, maintenant fais pas chier.
- D’accord, d’accord, j’arrête… C’était pour te détendre, Brigitte, c’est tout.
- Je suis parfaitement détendue, Thierry !
- Tout va bien, messieurs-dames ?

L’hôtesse de l’air blonde pencha son joli décolleté au-dessus de la tête de Thierry qui après les dattes songea à des noix de coco mais garda son jeu de mots pourri pour lui. Brigitte ne remarqua pas le regard libidineux de son mari (qu’elle ne remarquait plus depuis longtemps d’ailleurs), crispée sur son siège, les ongles vernis enfoncés dans l’accoudoir.

- Tout va bien, mademoiselle.
- Peut-être désirez-vous un verre d’eau ?
- J’ai dit tout va bien, mademoiselle.
- Vous savez, le stress au décollage est très fréquent, nous avons l’habitude...
- J’ai dit tout va bien !

L’hôtesse hésita à prononcer quelques mots d’excuse, puis se dit qu’elle n’avait pas à s’excuser, les bourgeoises n’ont qu’à pas être aussi désagréables. Les joues de Brigitte avaient viré au rouge, deux belles griffures venaient d’apparaître sur l’accoudoir gauche, et seul Thierry trouvait amusant de fabriquer un petit avion en papier avec une page du catalogue Air France.

* * *

- Vrrrroummm ! Commandant de bord appelle tous les chasseurs, commandant de bord appelle tous les chasseurs ! L’ennemi est en vue ! Sus à l’armée rouge ! Sus à l’armée rouge ! Voyants allumés, sortez vos missiles ! Ha-ha, prends ça, pourriture communiste ! Piou-piou-piou-piou-piou, on va vous exploser comme des dattes confites sur un rebord de fenêtre, buveurs de vodka ! Il va pleuvoir des pruneaux sur le Kremlin !
- Thomas, descends de cet avion, ton père vient de retrouver la voiture.
- D’accord maman !

* * *

- Mademoiselle ! Mademoiselle !
- Oui, Madame ?
- Je veux bien le verre d’eau, finalement.
- Tout de suite, Madame.
- Et dépêchez-vous, pour l’amour du ciel !
- S’il vous plaît, mademoiselle, attendez, j’aimerais bien un petit quart de rouge, pour ma part.
- Silence, Thierry.

* * *

Catherine, elle était tout pour moi. Elle m’avait eu, un soir, comme ça : « Tu es très beau, Jeannot. Sortons ensemble. » Elle portait une robe rouge, moi une chemise bleue, elle était le chaud, j’étais le froid, elle voulait un rafraîchissement, moi un peu de chaleur. On s’est plus tout de suite. Elle aimait le cinéma, la planche à voile, le jazz, la bonne cuisine, et moi les livres, le ski de fond, la country et la bonne cuisine. On s’est unis dans les odeurs de pâtes d’amande, de baklavas, de loukoums et de pudding aux dattes. Etre avec elle, c’était comme être sur un nuage, une immense barbe à papa tissée de plaisirs sucrés. Malheureusement, et comme on pouvait s’y attendre, l’un comme l’autre on a tiédi. Ça me convenait, pas elle. Elle a pris sa robe rouge, ses meilleures recettes, et un avion pour quitter notre nuage. Catherine s’est envolée ailleurs. Et pourtant, c’est moi qui me suis crashé. Catherine, elle était tout pour moi.

* * *

- Hé maman, tu l’as acheté mon p’tit camion rouge ?
- Non.
- Mais… t’avais promis !
- Raah, s’il te plaît…
- Comment tu veux que je devienne pompier plus tard si tu m’achètes pas de camion ? T’es trop nulle !
- Thomas, c’est la dernière fois que je t’emmène faire les courses…

* * *

« Chers passagers, mesdames-messieurs, notre avion entre à présent dans une zone de turbulence. Veuillez rester assis sur vos sièges et ne surtout pas paniquer. Dear customers… »
Et voilà, le moment tant redouté pour Brigitte venait d’arriver. Elle avait réussir à s’en tenir à une petite sudation lors du décollage, mais à présent, le véritable combat venait de démarrer.

- Thierry, mon cher…

Mais Thierry, qui avait une paire de boules Quiès confortablement installées au fond des oreilles, roupillait comme un bienheureux. Brigitte trouva scandaleux qu’il ne la soutienne pas plus que ça dans une pareille épreuve. Une première secousse l’empêcha de balbutier quelques mots pour protester. Une deuxième secousse provoqua trois nouvelles entailles dans l’accoudoir du fauteuil, et l’un des ongles rouges cassés.
« Mesdames messieurs… »
Brigitte n’avait pas envie d’écouter l’hôtesse de l’air blonde. Pouffiasse, à faire trois Paris – New York par semaine, forcément qu’on n’a pas le mal de l’air, on est habituée, on est entraînée. Mais une bleue comme Brigitte… aucune chance !

- Thierry !
- Hmm ?
- Thierry, sors le sac !
- Que dis-tu ma bibiche ?
- Le sac ! Le sac !
- Une seconde, j’enlève mes boules Quiès.
- Le sac ! Le s…

Et c’est ainsi qu’une feuille de salade, une purée-jambon dégueulasse et un mini muffin mal digérés se retrouvèrent sur les genoux de Thierry.



17 févr. 2012

Mickey au pays des merveilles

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Thème : raconter un exploit ; contraintes personnages : Mickey & le lapin en retard d'Alice au pays des merveilles ; objets à placer : ordinateur, cuillère à soupe, fer à repasser, brosse à cheveux

  
"Chat timide fait souris effrontée" - proverbe irlandais


- Mon ami, c’est un plaisir de discuter avec toi, ah-ha ! Et le thé du Lièvre de Mars est excellent, tu le complimenteras de ma part !
- Voyons Monsieur Mickey, ce n’est rien. Le tout, concernant le thé du Lièvre de Mars, c’est qu’il lui est livré toujours à l’heure. La plante à peine coupée est immédiatement lavée, traitée, séchée et expédiée, sans délai, et c’est ce petit goût de ponctualité qui lui donne toute sa saveur.

Voilà une heure que je discute avec un lapin. D’habitude, les lapins n’ont pas beaucoup de conversation, mais celui-là, qu’est-ce qu’il parle ! Comme mon ordinateur quand je veux faire une recherche sur internet : je donne un mot, il me renvoie cent cinquante propositions. Et c’est fatiguant, c’est fatiguant…

- Néanmoins, c’est heureux que son thé, importé des meilleures contrées de Ceylan, soit un régal pour les papilles, parce que, en comparaison, les pâtisseries du Chapelier sont désespérément médiocre. Et pourtant, je lui avais offert un livre de cuisine à son antépénultième non-anniversaire, j’osais espérer que depuis il aurait fait des progrès. Mais ce rustre est incapable d’apprécier la nourriture raffinée, aussi je ne suis pas tant que ça étonné que…

Mais ferme-la, bouffeur de carottes. De toute façon, ta vision de la nourriture raffinée est superflue : avec toi c’est gratin de carottes, risotto aux carottes, charlotte aux carottes, choux à la carotte et j’en passe et des plus indigestes, alors… Qu’est-ce que c’est dur d’être moi, parfois ! Le gentil Mickey, avec son grand sourire et ses grandes oreilles, toujours de bonne humeur pour plaire aux petits enfants. Mais les petits enfants, ils ne savent pas ce que c’est dur d’être Mickey ! Entre supporter Dingo qui, entre nous, est le derniers des cons, Pluto qui fait la gueule depuis que je l’ai castré, et l’autre cruche de Minnie qui, depuis le temps qu’on se connait, habite toujours chez sa mère – ah, les longues discussions avec Donald pour parler de ce problème qu’il connaît bien, lui aussi ! Et là, ce petit père lapin, tout mignon, tout propre, blanc comme neige – tiens, en voilà une autre bien niaise, Blanche-Neige… Elle a un fer à repasser à la place du ciboulot, celle-là… Eh ouais, mais, être Mickey, c’est un standing, c’est des millions de billets verts, des milliards de mômes, depuis plus de quatre-vingts ans, et jamais droit à la retraite, non monsieur. Alors, la provenance du thé du Lièvre de Mars, honnêtement…

- Oh, mais Monsieur Mickey, on discute, on discute, mais c’est que je vais être en retard !
Allons bon.
- Ah, j’en suis bien navré, ami lapin, ah-ha !
- C’est moi qui suis navré, Monsieur Mickey, d’autant plus que, depuis une heure que nous discutons, je n’ai toujours pas évoqué le sujet crucial à propos duquel je voulais vous entretenir.

Et, accessoirement, me faire quitter ma belle villa de Mickeyville pour aller m’enterrer dans une forêt un peu glauque. Ouais, belle villa. La maison pourrie, c’est que pour les comics.

- Alors voilà, Monsieur Mickey. C’est à propos du Chat du Cheshire. L’autre jour il a voulu draguer une chatte sur un toit brûlant, et il s’y est cassé les dents. Depuis, il ne sourit plus, et je crains qu’il ne soit tombé malade.
- Vraiment ?
- Oui. D’ailleurs il est là, juste à côté. Mais vous ne le voyez pas, parce qu’il est invisible, et comme il ne sourit plus, on ne peut plus le voir du tout.
- Et donc, mon ami lapin, vous pensez que je peux faire quelque chose pour lui, ah-ha ?
- Oui, absolument ! Vu que le sourire du Chat du Cheshire a été inspiré par un fromage, que vous aimez le fromage et qu’il aime les souris, j’ai pensé que voir une souris lui redonnerait une humeur joviale. Alors vous me direz, pourquoi vous, vu que le Lièvre de Mars et le Chapelier ont un loir pour ami. Mais sourire et souris sont des mots qui se ressemblent plus, là où loir rime avec dortoir, ce qui prête plus à la somnolence qu’à la gaieté, encore que cela demeure contestable, mais de toute façon le Loir a toujours un pet de travers, et préfère bien la compagnie des cuillers à soupe à celle des chats, et…

Brosse à cheveux. Non mais rien, désolé, j’avais juste envie de dire un truc complètement absurde. C’est quoi son problème, à ce lapin ? Autant, une bière avec Bugs Bunny qui balance que des vacheries, ou même Roger Rabbit et son humour à deux balles, autant ça c’est sympa, autant ce lapin blanc, là, il commence à me les hacher menues. Bon ben allez, amène-le ton Grosminet, j’ai très envie de jouer à Titi !

- Nervons dans les progazes, fleurs des édulcinées…

C’est quoi, ça ?

- Monsieur Mickey, c’est du Jabberwocky, le Chat du Cheshire se manifeste !
- Fanez dans les hangroves, justement garlandées…
- Monsieur Mickey, c’est formidable, il se manifeste, je ne l’avais pas vu aussi en forme depuis l’avant-dernier non anniversaire de Tweedledee et Tweedledum !
- Bivrez, flussez, glaisez, dans les ernestes branches…

Oh purée… Ce sera un exploit si je ne choppe pas la migraine. Même Minnie, dans ses moments de rare lucidité, n’est pas aussi prise de chou ! C’est une sorte de poésie, si j’ai bien compris… Il veut des jolis mots ? Ok, pas de problème, je suis américain, j’ai un smartphone, je vais lui chercher des citations sur le web et on aura la paix. Ah non, ici ça capte pas… Bordel, bordel, bordel !

- Cher ami chat, ah-ha ! Peut-être y a-t-il une solution adaptée à votre problème ?

Et allez, bravo Mickey, ça servait à rien. Si je tenais le scénariste qui me fait dire des trucs aussi débiles…

- Un problème, petite souris ? Miaou, je n’ai pas de problèmes. Il n'y a pas de problèmes ; il n'y a que des solutions. C’est l’esprit qui invente ensuite le problème. Il voit des problèmes partout.

Hmm, c’est du André Gide, ça. Ah mais ouais, tiens, tant qu’à être au Pays des Merveilles, je dois pouvoir être cultivé ?

- Savez-vous, cher ami chat, qu’un proverbe chinois prescrit que sourire trois fois par jour rend tout médicament inutile ?
- J’entends bien, petite souris, le sourire est à la figure ce que l’esprit est à l’intelligence. Un bon brossage de dents est alors le seul remède, et pour moi le dentifrice a l’apparence d’une charmante créature féline.

Bon, ça au moins c’est clair. Une chatte, doit bien y avoir de ça en réserve dans les greniers Disney. Ah oui, tiens, Marie, la fille de Duchesse dans les Aristochats, elle doit avoir grandi depuis le temps. Et puis c’est une parisienne, la prise de chou ça va pas la gêner. Allez, je leur demande de m’expédier ça fissa, et puis on n’en parle plus. Ah mais non, mon smartphone n’a pas de réseau… Non mais c’est le Pays des Merveilles, si ça se trouve je peux ouvrir une faille spatio-temporelle et la faire venir… Allez, je peux bien écrire n’importe quoi : et hop la voilà !

- Bonjour Marie, ah-ha !
- Miaou !
- Miaou ?
- Miaou miaou !
- Miaou !
- Bon ben c’est pas tout ça, hein, mais j’ai promis à Minnie de l’amener au bridge, faut sortir le chien, j’ai un fromage sur le feu, ciao la compagnie, that’s all folks !
- Au revoir Monsieur Mickey, ne soyez pas en retard !
- Oh, le civet javellisé, ça va bien !

Voilà, et ciao le Mickey sympa au passage, non mais sans blague. Attends, l’autre énergumène va bien me sortir une phrase d’on ne sait pas où…

- Il faut donner du temps au temps, petite souris !

Gagné : Cervantès. Allez, fin de cette histoire de fous, direction Mickeyville, je vais prendre le train sur un rail de coke, et autant en emporte le temps !



18 déc. 2011

Les presque aventuriers du Vatnajökull

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Thème libre, contrainte personnage : "mon frère (ou le vôtre)", contrainte lieu : "Islande"



1.
- Et donc ? Qui avait raison ?
- Très bien, je m’incline. Vous aviez raison.
Satisfait, j’entrepris de me lécher les lèvres, encore toutes humides de cognac.

2.
- Au secours !
- Ne crains rien, on va s’en sortir !
- J’ai peur !
- Dieu tout puissant !

* * *

Mais comment, par quel diable, me suis-je retrouvé dans cette galère ? En quelques minutes, j’ai l’impression d’avoir vécu cent ans de solitude, et qu’on va me retrouver congelé dans la glace comme cette femme dans La Nuit des Temps. Pour peu que la mécanique du cœur fonctionne encore, et si ça marche alors la vie est un miracle. Remettons les souvenirs en place.

* * *

3.
La petite Lizzie regardait par-dessus le hublot. Les glaces du Vatnajökull s’étendaient à présent sous la buée de son souffle et les traces de ses doigts.

- Ne nous fâchons pas, Marisa. C’était mon frère, ou le vôtre.
- Ç’aurait dû être le mien. Vous me déçûtes, mon cher.
- Mon choix vous aurait-il à ce point déplu ?
- Vous êtes dans le vrai. Mais brisons sur ce sujet, voulez-vous ? La lecture de ce magazine féminin de bas-étage a pour moi des charmes insoupçonnés, et je vous saurais gré de me laisser en paix durant son déchiffrage ô combien passionnant.

Jamais Marisa ne m’était autant insupportable que lorsqu’elle prenait ses mines hypocrites et ce ton ampoulé. De quoi se plaignait-elle ? Elle avait obtenu qu’on parte pour l’Islande, et plus l’avion se rapprochait de Keflavík, plus son humeur semblait perdre en altitude. Quant à la dispute à propos de nos frères respectifs, je ne vois pas comment elle pouvait encore critiquer mon choix, pourtant légitime : il avait d’abord été convenu que nous ne partirions que tous les trois, la petite, elle et moi, comme une famille normale. Hors, Madame ayant des atomes crochus – un peu trop à mon goût – avec le monde de l’exploration, il fallait quelqu’un pour garder la petite qu’il était hors de question d’emmener lors d’une expédition sur le Grímsvötn, par exemple.

- Mon père, c’est là qu’on va, n’est-ce pas ?
- Oui, Lizzie chérie, c’est bien là. Tiens, regarde : la plus haute montagne, là, c’est l’Öræfajökull. Un dangereux volcan, ne tombe jamais dedans.
- Aucun risque, avait sèchement aboyé Marisa.

Elle replongea furieusement la tête dans son magazine, sans prononcer un mot. Elle ne me pardonnerait décidément pas la présence de mon jeune frère, endormi comme un loir la tête contre la partie du hublot que les mains de Lizzie ne recouvraient pas. Parce que, quitte à aller en Islande, je voulais moi aussi prendre part aux expéditions aventureuses et, pour ne pas que Lizzie se retrouve seule, nous avions d’un commun accord décidé qu’une tierce personne nous accompagnerait, et qu’on se relayerait, lui et moi, auprès de la petite. Chacun proposa un frère. Elle le sien, moi le mien. Je trouvais qu’emmener Stou’ serait une bonne idée, vu qu’il n’avait presque jamais voyagé, et qu’il s’entendait à merveille avec Lizzie. Mais Marisa préférait son frère à elle, qui avait déjà été à nos côtés en Patagonie, et serait par conséquent à l’aise dans les glaciers islandais. Et me reléguerait donc au rôle de nounou exclusive, au final. La victoire, finalement, se fit au porte-monnaie : son frère, qui menait une vie de Bohême, n’avait pas de quoi s’offrir le billet, et moi, j’avais largement de quoi payer celui de Stou’. Stou’ qui, à présent, dormait au milieu de ses cheveux longs et de la musique de Sigur Rós qui continuait à s’échapper de ses écouteurs, posés de part et d’autre de la barbe naissante qu’il avait tenu à laisser pousser pour « mieux résister au froid là-bas ».

- Père, on fera des batailles de neige au bord des lacs ?
- Avec plaisir, Lizzie chérie.
- Marisa n’avait rien trouvé rien à redire. Ça ne partait pas si mal, finalement.

* * *

- Vous saviez que Reykjavik veut dire « baie des fumées » en islandais ? C’est poétique ! Et c’est là qu’Ingólfur Anarson, le premier colon, est arrivé en 874. Aujourd’hui, Reykjavik regroupe plus de la moitié de la population islandaise !
- Content de voir que tu t’intéresses au pays, Stou’ !
Stou’ avait le nez plongé dans son guide illustré pendant que Lizzie piaffait d’impatience en attendant d’aller voir les « gizaires », surtout le Strokkur qui crache son eau à vingt mètres de haut. Seule Marisa s’assombrissait, comme un volcan entouré de la fumée annonciatrice de l’éruption proche. Je pris le parti de ne rien dire jusqu’à ce qu’on arrive à l’hôtel.
- Attends, je vais saluer le type à l’accueil : « gódan dag, hvernig gengur ? » formula Stou’ avec enthousiasme. Yeah, t’as vu ça, Lizzie ?
Lizzie approuva avec un grand sourire d’admiration. L’hôte répondit par une phrase que Stou’ ne comprit pas.
- Heu… heu… « ég skil ekki », dit-il après avoir trouvé dans son guide la phrase signifiant « je ne comprends pas. »
L’hôte rit de bon cœur, Lizzie se moqua de son oncle, et Marisa se chargea de régler les affaires courantes en anglais. Elle m’apprit peu après que la première expédition était programmée pour le surlendemain, avec l’accompagnement d’un certain Sturlusson.

* * *

- Aide-moi, je vais tomber !
- Oui, attrape ma main.
- Je la tiens !
- Non, attention où tu mets ton pied !
- Aïe !

4.
Ce fut difficile de calmer les pleurs de Lizzie quand elle apprit qu’elle ne nous accompagnerait pas aux lacs glacés du Vatnajökull. Je faillis même me fâcher avec Stou’ qui, bien plus heureux ici que dans son studio d’étudiant, se sentait l’âme d’un conquérant et n’entendait pas rester confiné en ville, bien qu’il y ait à Reykjavik largement de quoi s’occuper. Quoiqu’il en soit Marisa ne semblait guère s’en soucier et, à l’heure du départ, son sac et le mien étaient prêts.

- Très cher, avez-vous su faire entendre raison à notre fille ?
- Non.
- Tant pis pour elle. Et votre frère ?
- Pareil, il proteste.
- Je vous avais bien dit qu’il ne fallait pas l’emmener.

Le dénommé Sturlusson arriva à quatre heures précises dans son 4x4, on posa les sacs et nos derrières, on prit la route, de longues heures. Je pensais à Lizzie, me promis de l’envoyer en colonie de vacances sur la Côte d’Azur pour la prochaine fois.

* * *

- Ah, très cher, je me sens l’âme d’une Viking ! Quelle beauté que ces blanches étendues à perte de vue, ce ciel froid, ces nuages argentés.
- Ravi de vous voir enfin de bonne humeur, Marisa chérie.
Elle ne me répondit pas, enchantée par les nouvelles chaussures de randonnées qu'elle baptisait au verglas islandais. Sturlusson dit quelque chose que je n’entendis pas, ils échangèrent quelques mots. C’est alors que cela se produisit.

* * *

Marisa avait juste eu le temps de me prévenir que nous allions subir un sérieux grain, sans m’en préciser la nature. En vérité, c’est plus qu’un grain : le sol se déroba littéralement sous mes pieds.
- Aarg !
J’entendis la voix de Marisa crier au loin. Peut-être qu’elle et son Sturlusson étaient dans la même situation que moi. Je levai les yeux : le ciel était à trois mètres au-dessus de moi, et le sol grondait. Je songeais à une surge glaciaire, quand j’entendis, malgré le fracas, la voix de l’Islandais crier « jökulhlaup ! Jökulhlaup ! ». Bien sûr, une débâcle glaciaire, la rupture par fusion du barrage de glace qui retient un réservoir d’eau. Qui dit rupture, dit crue : si je ne parvenais pas à sortir de ma crevasse, j’allais rapidement être submergé par des flots torrentiels. J’avais entendu parler de ce phénomène en Patagonie, lors de notre expédition au Campo de Hielo Sur : le frère de Marisa disait en avoir déjà vu un au Perito Moreno, mais que les plus violents avaient lieu… en Islande. Marisa devait me maudire à l’instant présent d’avoir refusé qu’il nous accompagne, ce frère qui connaissait le Champ de glace Sud de Patagonie comme peu d’Européens le connaissent. Mais enfin, me dis-je, ce Surlusson qu’elle avait contacté devait bien s’y connaître lui aussi en calotte glaciaire ? Un nouveau grondement coupa court à mes interrogations.

- Au secours ! hurla Marisa.
- Ne crains rien, on va s’en sortir, répondis-je sans trop y croire à cette voix que je ne pouvais voir.
- J’ai peur !
- Dieu tout puissant !
Je venais de le voir : le filet d’eau qui s’écoulait entre mes pieds, et un petit jet régulier qui perçait la paroi à quelques centimètres de moi.

* * *

5.
Mais comment, par quel diable, me suis-je retrouvé dans cette galère ? En quelques minutes, j’ai l’impression d’avoir vécu cent ans de solitude, et qu’on va me retrouver congelé dans la glace comme cette femme dans La Nuit des Temps. Pour peu que la mécanique du cœur fonctionne encore, et si ça marche alors la vie est un miracle.

Je me sentais tel ce soldat dans Guerre et Paix qui, empêtré de neige russe et sentant la fin proche, choisissait d'adresser une pensée aux êtres chers plutôt que de fouiller dans son sac à la recherche de quoi que ce soit d’utile. Sauf que, contrairement à lui, je n’étais pas blessé. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser très fort à Lizzie. Tellement fort que j’entendais presque sa voix résonner à mes oreilles.
- Père ! Mon père !
Alors je criai « Lizzie ! » comme pour répondre à cette voix, en me disant qu’au bout d’un moment c’est un torrent de larmes qui me noierait et non celui du glacier.
- Mon père ! Où êtes-vous ?
« Perdu, perdu, au fond d’une crevasse », répondis-je, sentant l’eau me venir aux yeux, et submerger mes mollets.
- Je vous entends ! Où êtes-vous ?
Attends une minute.
- Lizzie ? j’ai crié à nouveau.
- Oui, père ! On est là, Stou’ et moi !
Par tous les saints !
- Lizzie ! Lizzie ! Par ici ! hurlai-je alors à pleins poumons.
- Père ! Je vous vois !
La petite tête blonde adorée venait en effet de surgir du haut de la crevasse.
- Stou’ ! Stou’ ! Viens vite, je l’ai trouvé !

Dix secondes après, l’oncle avait rejoint la fillette. Tout en criant des ordres que mes sens en alarme ne me permettaient d’entendre qu’à moitié, il me jeta une corde solide que j’attrapai sans poser de questions. J’eus tôt fait d’être en haut et d’essuyer la plus terrible avalanche de bisous de ma vie, œuvre d’une Lizzie hystérique, et je crois que j’aurais donné beaucoup pour que le temps s’arrête quelques secondes, histoire de savourer. Stou’, en revanche, ne perdit pas son sang-froid, et me demanda où se trouvait Marisa. Aussitôt je me défis de Lizzie, et bondit là où je l’avais vue pour la dernière fois. Elle était à un mètre au-dessous de moi, agrippée à une petite corniche, surplombant un fossé d’au moins cinq mètres.
- Aide-moi, je vais tomber ! cria-t-elle aussitôt qu’elle m’aperçut. Je fus très légèrement étonné qu’elle abandonnât son habituel vouvoiement, mais l’heure n’était pas à la plaisanterie, aussi me gardai-je de le lui faire remarquer.
- Oui, attrape ma main.
- Je la tiens !
- Non, attention où tu mets ton pied !
- Aïe ! vociféra Sturlusson, dont les doigts de la main droite se trouvaient sous le talon de Marisa.

Finalement, quelques minutes plus tard, tout le monde était tiré d’affaire, et on se hâta de changer de position géographique pour ne pas se retrouver pris dans la crue du jökulhlaup. Stou’ m’expliqua brièvement que Lizzie demeurait inconsolable après notre départ et que, lui-même se sentant frustré de ne pas partir à l’aventure, ils avaient pris un taxi dans le but de nous suivre. « J’ai bien regardé dans le guide illustré comment s’y prendre pour donner les explications, et on a réussi », avait-il dit, concluant par un théâtral « Rien ne peut empêcher un oiseau de voler quand il se sent pousser les ailes du désir ! »

* * *

6.
De retour à l’hôtel, je m’empressai de demander l’adresse du meilleur restaurant de la ville, pour terminer en beauté cette aventure tumultueuse. Et aussi, au service d’étage, qu’on apporte une bouteille d’un excellent cognac à la chambre que nous partagions, Marisa et moi. Tandis que Lizzie et Stou’ se préparaient pour le dernier, je servis deux verres, pour mon épouse et moi-même. Je lui tendis le sien avec un grand sourire, elle devina mon intention.
- Quelque chose de complètement extérieur à cette histoire vous réjouit beaucoup, n’est-ce pas ?
Je bus une gorgée comme pour lui prouver qu’elle avait raison.
- En effet, Marisa. A propos de nos frères. Si le vôtre était venu, il vous aurait accompagné au Vatnajökull, j’aurais passé la journée à Reykjavik avec Lizzie, et vous seriez restés bloqués dans cette crevasse. Tandis que, puisque Stou’ est venu…
- J’ai compris, j’ai compris. Je pense qu’il aura droit à un cadeau des plus coûteux à son prochain anniversaire, puisque je lui dois la vie, c’est bien ça ?
- Et donc ? Qui avait raison ?
- Très bien, je m’incline. Vous aviez raison.
Satisfait, j’entrepris de me lécher les lèvres, encore toutes humides de cognac.

13 juin 2011

Donald D-cadence

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Thème "drôle de cadeau", contrainte personnage : "Donald Duck", placer le mot "discount" dans la première ou dernière phrase



« Ça y est », se disait le canard d'affaires, « j'ai niqué Mickey ».
Lissant les plumes qui lui tenaient lieu de sourcils, Donald Duck tira une bonne latte sur son cigarillo. Depuis l'immense fenêtre de trois mètres sur cinq qui ornait ce cinquante-deuxième étage du gratte-ciel le plus moderne de Bourg-les-Canards, l'ex side-kick de la tristement célèbre souris en culotte rouge savourait sa revanche et un havane en contemplant le soleil qui descendait doucement au delà des limites de la ville. Loin, petite tâche sombre à l'horizon, le biplane de Flagada Jones surveillait l'entrée ouest de la glorieuse cité. Une route, récemment baptisée nationale 313, zigzaguait jusqu'à ce qu'il restait de Mickeyville. On s'était toujours abondamment moqué de Mickey et Donald parce qu'ils habitaient dans des villes portant leurs prénoms respectifs, honte qu'aucune autre star mondiale n'a à assumer – est-ce que Johnny habite à Johnnyville ? Désormais, le malin canard n'en avait cure. Aujourd'hui, il était le roi de Disney World.

Cependant, comme tout homme a des faiblesses, tout canard en a également. Naturellement bilieux, Donald avait un jour piqué une immense colère lors d'une réception huppée à Miami, tout près de la Mecque des parcs d'attraction dont il avait acquis 65% du capital financier à force de bons placements dans le monde pétrolier et des conseils d'un hacker professionnels pour obtenir une petite ristourne sur l'héritage de l'oncle Picsou. Cette colère, provoquée par l'impudence d'un serveur qui lui proposait un toast au foie gras – Donald, naturellement, n'aime pas trop le foie gras – lui avait coûté non seulement tout un service à champagne qu'il avait brisé avec ses petits poings de plume en baragouinant l'habituel « %@£§# » qu'on lui connaît tous, mais surtout trois points de suture à l'attention de Lady Daisy qui s'était rétamée en glissant sur les litres de Crêmant d'Alsace renversés un peu partout. Des types que l'on se refusera à appeler des journalistes, présents sur place – il faut dire que le gratin floridien avait Lindsay Lohan et deux magnats du commerce international de coke au programme de ses attractions – rapportèrent que Lady Daisy aurait alors dit : « Écoute pépère, ça fait au moins soixante-dix ans qu'on est fiancés, et si je dois te coûter plus cher en pansements qu'en bagues, autant retourner chez ma mère ! »

Aujourd'hui, donc, en ce lundi de Pentecôte, Donald Duck savourait un havane et sa revanche en jetant des fléchettes sur un vieux poster de Mickey, parce que là où le canard avait su rester un bon patriote, la souris s'était risquée à des placements foireux au Japon ou une autre souris, un certain Pikachu, lui avait placé tellement de bâtons dans les roues que Mickey avait du revendre plus des deux tiers de son capital sur Disney World. Alors, le fidèle canard, casquette de marin toujours sur le chef, avait apposé sa signature sur deux ou trois papiers et était ainsi devenu très, très riche. Seulement, en ce lundi de Pentecôte, Donald Duck venait également de voir un reportage à la télé sur des milliers de gens qui faisaient profession de foi. Et le canard, se remémorant les commandements de Walt, à savoir être toujours un modèle pour la société américaine, se disait qu'il devrait certainement faire un truc en rapport avec la chrétienté, même si présentement il s'en tamponnait un peu la nouille. Il décida alors d'un truc assez extravaguant : construire une église au coeur du parc d'attractions. Pas de problème pour les autorisations : quelques centaines de DVD de Rox et Rouky et de CD d'Hannah Montana envoyées pour des bonnes oeuvres à l'archevêque du coin et ça passerait crème. Le seul hic, c'est que pour faire une statue de la vierge qui lui convienne – c'est-à-dire une vierge un minimum bandante : rappelons que Sainte Marie fut pendant de nombreux siècles le seul personnage féminin à montrer ses seins dans l'art occidental – il lui fallait une dame canard. Et la seule cane séduisante qu'il ait en ses connaissances... Oui, il fallait rappeler Lady Daisy. Mais comment la convaincre, elle qui avait pleuré deux mois durant après cette histoire de Miami et à laquelle il n'avait adressé en tout et pour tout qu'un texto disant « désolé mais franchement entre toi et une dinde, biologiquement parlant y a pas énorme de différence » et un bon de réduction de 30% sur des paquets de mouchoir deluxe parfum framboise à prix discount. Aussi, malgré sa victoire complète sur le malheureux Mickey Mouse et un succulent partenariat avec une compagnie havanaise au tabac de qualité, malgré son nouveau bureau tout sauf cosy au cinquante-deuxième étage d'un gratte-ciel moderne, Donald piquait une colère en baragouinant le « %@£§# » qu'on lui connaît bien. Dans le couloir voisin, une femme de chambre qui n'avait jusque là jamais porté plainte, hésitait à lui remettre le billet de Lady Daisy sur lequel on pouvait lire : « Y a pas que les mouchoirs à la framboise qui sont discount, le magret que je vais faire de toi le sera aussi ! »

7 janv. 2011

Dans tous les sens

- Robert ?
- Hmm ?
- Je t'aime, Robert.
- Hmm.
- Je comprendrais que tu trouves ça un peu précipité, mais...
- Ouais.
- C'est vraiment ce que je ressens. Je veux dire, cette nuit avec toi, c'était, même pas formidable, c'était... magique !
- Hmm.
- Tout, tes mains, ta bouche, tes yeux, tes épaules larges, ton sexe généreux...
- Hein, hein.
- J'aime tes draps, tes caresses, tes baisers, j'aime que mon corps devienne comme de la cire entre des doigts, une poupée que tu façonnes et malaxes jusqu'à plus soif. J'aime sentir ça, encore et encore.
- Hmm.
- Ton souffle chaud me donne vie. À côté de toi, Léo, c'était rien, c'était trois fois rien, toi tu es mille fois tout, pour le cœur comme pour le chibre, oui. Je suis ta chose, Robert.
- Ouais.
- S'il te plaît, chéri...
- Hmm ?
- Parle-moi, je t'en prie, j'ai besoin de ta voix.
- Oh, là là...
- Quoi ?
- Tu prends toute la couette, Bryan.
- Hein ?
- Et de bas en haut.

22 déc. 2010

Conte de lutins de père Noël inachevé

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Thème : Vous êtes un employé de « Pôle Nord Corporation », l'entreprise qui fabrique les jouets du père Noël, entreprise dont tout le monde ignore la localisation. Il y a une coquille sans q dans le potage (un budget annuel très très mauvais, une panne d'électricité générale, un accident dans les ateliers... à vous de voir !) et va bien falloir résoudre c't'affaire, tabarnac' ! Seulement, vous êtes un lutin.




- Plus vite, Tibli, plus vite !
- Oh c'est bon, y a pas le feu.
Ce qu'il peut être exaspérant ce Tibli, quand il s'y met.
- Mais allez, bouge, on va louper le bus ! Tiens regarde, le voilà.
- Ah.
- Allez, accélère, mais qu'est-ce qu'on se traîne !
- Oh.
Gagné, on est là à courir comme deux gros malins sur le sol verglacé, et vu la longueur de nos jambes le pari est risqué.
- Ouf ! Eh ben c'était pas gagné ! dis-je tandis que la porte du bus se referme derrière nous.
Tibli ne dit rien, feint de n'être même pas essoufflé. Mine de rien, je lui tire mon chapeau, alcoolisé comme il est.
- Mais regarde-toi, sacrebleu, tu as écumé combien de pubs de Darmstraße hier soir pour avoir l'air aussi mal luné ?
- Quatorze ?
- Un de ces jours, Tibli, tu finiras par avoir des ennuis.
- La Killkenny, c'est la meilleure. « Oh mon dieu, ils ont tué Kenny ». Ça me fait toujours marrer. Ah ah ah.
Ouais, autant causer avec une huître. La barbe.
Y a deux trolls qui causent, à côté. Je n'aime pas trop les trolls, ils font une pomme de plus que nous, et tout de suite, à la cafétéria de Pôle Nord Corp, c'est toujours eux qui passent les premiers.
J'écoute quand même, à tout hasard.
- Dis Gründsberg, t'en penses quoi de la nouvelle réforme syndicale que le cabinet central devrait promulguer après-demain ?
- Je pense que ça va semer un sacré bordel. Pour le moment, on est gagnants, mais dès que les lutins vont apprendre ça, ils vont être furax.
- En même temps, je les comprends, ils sont deux fois plus nombreux que les autres et on veut restreindre leur nombre de voix à l'assemblée...
- Ouais, mais on s'en cogne de ces nabots, c'est rien que des ouvriers de bas étage, ils savent à peine ce que signifie faire du profit, alors tu penses qu'ils comprennent quelque chose à la politique...
- Tais-toi, y en a un qui nous regarde !
Deux paires d'yeux globuleux se tournent vers moi.
- Eh ben alors, qu'est-ce qu'il a l'avorton ? Il veut un biberon sous son sapin ?
- Je suis sûr qu'il a les boules rien que de voir deux trolls lui adresser la parole.
- Regarde, je suis sûr que sa barbe va rougir tellement on le met mal à l'aise, pas vrai Müursmog ?
- Comme une petite tomate poilue, Gründsberg. Et on aime ça, nous, les tomates poilues, hein ?
- On les mange !
Mes deux trolls éclatent de rire, oh oh oh. Je suis sûr que, même si on portait des échasses, ils continueraient à nous prendre de haut. Je baisse la tête, leur montre le pompon de mon bonnet, jusqu'à ce qu'ils se désintéressent de moi. En vérité, je suis mort de trouille.
- Tibli, tu as entendu ? C'est horrible !
- Eh ?
- Non, laisse tomber.

Le bus s'arrête, on est au siège.
Toujours ce gros bâtiment en béton façon boîte à savon taille XXL, avec les deux lettres QG peintes en rouge majuscule. Il n'y aurait pas le gigantesque panneau lumineux « Père Noël & Co » coiffant la porte d'entrée, on se croirait dans une usine.
En fait, il y a une usine, mais pas seulement. Tout en haut, sur le toit, il y a un igloo, et une maison en pain d'épices. La chambre à coucher, et le salon du Père Noël. Mais aucun lutin n'y va, ça non, à moins de renoncer à son salaire trimestriel.
Pour l'heure, j'ai d'autres chats à fouetter. Si ces deux trolls disaient vrai, le bruit aura sûrement déjà circulé. Je parie que les trolls le savaient depuis des semaines. Ça va jaser, et pour cause : une grande affiche placardée dans la salle commune des lutins. Je n'aime pas cette affiche. Notre salle commune est le seul endroit vraiment accueillant du bâtiment en dessous du cinquième étage. Elle nous ressemble, toutes les tables sont basses, sculptées en chêne massif avec des motifs rococo. Au centre de la pièce, une grande cheminée en marbre aux flammes crépitantes, entourée de sucres d'orge sculptés. Et cette affiche, qui annonce une assemblée générale pour la communauté lutine, fait vraiment tache dans le paysage.
C'est Tibli qui va être content, aujourd'hui il n'avait pas vraiment la forme pour travailler.


Oh ! Oh ! Oh !

Tailli-taillault !
Un lutin compte pour un,
On ne vaut pas moins que vous,
Les trolls aux oreilles de chou,
Les gnomes au menton d'sabot,
Les elfes aux cheveux d'rideaux.
Nous avons des petites pattes,
Mais nos barbes vous épatent.
Alors ne coupez pas nos têtes,
Ou ce sera votre fête !


- Tibli, Tibli, on est foutus.
- Hein ?
- C'est la grève, Tibli, la grève ! Personne ne va au travail !
- Boarf, ça me gêne pas, moi...
- Arrête de réfléchir avec ton nombril. À mon avis, le Père Noël n'est pour rien dans tout ça, c'est impossible. D'abord, une rumeur de réforme qui court comme un abcès qui ne veut pas crever, et maintenant, les chefs syndicaux qui nous plantent là avec une chanson ridicule et nous interdisent d'aller au travail. Par Saint-Antoine le Jour J approche, une baisse de régime entraînerait une chute de la production, et qui dit chute de la production...
- Pirouette, cacahuète.
- Tibli, rameute les copains pendant que j'échafaude un plan. Par ma barbe, nous devons voir le Père Noël.
Il s'éloigne en claudiquant. Parfois, j'aimerais vraiment qu'il ne soit pas celui que l'on m'a imposé comme voisin de chambrée. Voire souvent. Sacrebleu.
Bon, réfléchissons. Les cours d'économie que j'avais chipé à une elfe un peu blonde à la cantine : le Père Noël doit être compétitif s'il veut faire du profit, pour être compétitif il faut produire, et si on ne fait pas de profit on se fait bouffer par les Chinois. Donc, cette stupide réforme ne peut pas venir de lui. En suite, se rendre dans son bureau... J'ai une idée.
- Eh machin, ça y est, j'ai ramené des copains.
- Super, Tibli !
J'avoue, je suis surpris, il n'a mis qu'un quart d'heure. Ils s'appellent Tvorik, Bilfon, Gliniluk et Pouchka. Espérons que les quatre gaillards ne sont pas aussi alcoolisés que lui.
- Eh au fait, machin, je leur ai promis que t'avais un fût d'hydromel chez toi et que tu voulais le mettre en perce, voilà voilà...
Eh ben, m'aurait étonné aussi. Peu importe !
- Écoutez, Tibli, vous tous. Il faut qu'on se rende au douzième étage.
- Alors que le service des douanes trolls te fait la peau au septième ? Ça va pas, non ?
- Exactement, Bilfon. C'est pourquoi nous n'emprunteront pas les escaliers.
- Et par où qu'on passe alors, l'ascenseur n'est pas autorisé pour les lutins ?
- Pouchka, ta question tombe à pic. Voyez-vous, l'une des centaines de milliers lettres qu'on a reçues ces derniers temps demandait une montgolfière. Une petite fille, du Danemark, particulièrement sage, qui voudrait quitter l'île de Coppenhague et aller survoler les fjords scandinaves.
- Et c'est toi qui as fabriqué cette montgolfière ?
- Bien sûr que non. Un travail aussi complexe, c'est laissé aux gnomes.
- Et comment qu'on fait, alors ?
- Facile. On s'introduit dans leurs quartiers pendant la pause déjeuner, et on casse un jouet.
- Oui ! Surtout les instruments de musique, ils détestent ça.
- Bonne idée Tvorik, on fonce !

Je dois être le seul lutin mélomane au monde. Voir Gliniluk et Tvorik massacrer une réplique de Stradivarius m'a retourné les boyaux, comme si j'étais un chat.
Cependant, le retour des gnomes fut des plus distrayants. Ces petits bonshommes pètent réellement un plomb dès que quelque chose ne va pas dans leur service. Je ne vous ferai pas un dessin, il y en a qui hurlent à la mort, d'autres qui courent en criant comme s'ils avaient le feu à leur barbe, d'autres qui se réunissent en tiquant pour discuter de qui, de pourquoi, de comment, d'autres encore qui se flinguent le nez avant de réaliser qu'on ne flingue pas grand chose avec un pistolet à billes.
Et pendant ce temps-là, on peut se faufiler ni vu ni connu dans la salle des fabrications extraordinaires. Et prendre la montgolfière sous le bras, sans que personne ne nous dise quoi que ce soit.
- Eh minute machin, comment on la gonfle, on n'a pas d'hélium ?
- Ah. Flûte.
- Attends, j'ai une idée.
Je manque laisser tomber ma charge, jamais je n'avais vu Tibli avoir une idée un lendemain de cuite. À voir la tête de Bilfon et Pouchka, eux non plus.
- On va utiliser le pouvoir de la Killkenny.
- Le pouvoir ? Quel pouvoir ?
- On va la gonfler par nos propres moyens.
J'ai d'abord pensé éclater de rire, puis hausser les épaules en jetant un regard navrant, c'était avant de m'apercevoir que les quatre acolytes sautaient de joie.
On s'est donc retrouvé dans notre salle commune, premier étage, disposant d'un balcon, à mettre en perce les packs de bière que Tibli, Gliniluk et Tvorik sortaient de nulle part. Ils buvaient comme des trous, et tous les lutins qui étaient présents se joignirent à eux. J'envisageais la possibilité d'avoir été adopté. Ce fut à Pouchka l'honneur du premier renvoi. Il se plaça sous le ballon, et éructa de toutes ses forces. Rapidement Bilfon l'imita, puis un autre lutin que je ne connaissais pas, puis Tvorik, puis un autre, puis un autre... Un chef syndical qui était de la fête s'écria « C'est la lutination en marche ! C'est la lutination en marche ! »
Je n'en croyais pas mes yeux, mais mes congénères gonflaient bel et bien la montgolfière. Très vite on la plaça sur le balcon, je pris avec moi Tibli qui, miraculeusement, paraissait encore presque lucide. Et, avant que le dernier mètre cube de bière ait été englouti, on avait décollé.

Dernière étape, adonc.
Je n'en reviens toujours pas.
On monte, on monte, on monte. On voit le paysage comme jamais avant : comment, au-delà de la montagne, il y a de vastes plaines ? Au-delà des plaines, il y a la mer ? C'est drôle de voir ça pour la première fois en étant aussi loin. Tibli a le hoquet. Tant pis, je suis le seul à profiter. À quelques mètres, un troll ouvre une fenêtre : cri de panique, mais il ne peut pas nous atteindre. Ah ah, le sentiment de puissance, ils ne s'attendaient pas à ça !
Enfin on arrive en haut. Voilà, le légendaire igloo, la mythique maison de pain d'épice. Ce serait le cadre parfait s'il n'y avait pas un trio d'immondes cheminées juste derrière.
Et s'il n'y avait pas une demi-douzaine de gardes trolls armés de hallebardes à deux pas de l'entrée : mais c'est pas possible ! Comment les trolls peuvent-ils être partout ?
- Sacrebleu, Tibli, on est foutus !
- Meuh non, relaxe, toi tu vas à droite, moi je vais à gauche, toi tu fais du bruit et ils viennent tous vers toi, et moi je vais voir le Père Noël pour lui dire ce que je pense.
- Parfait ! Donc, je vais à gauche, tu vas à droite, c'est ça ?
- Hein ?
- Je vais voir le Père Noël pendant que tu fais du bruit.
- Heu...
- T'as tout compris, impeccable ! À tout à l'heure !
- Attends, machin, avant d'y aller, faut qu'on s'en jette un p'tit dernier.
Il sort deux bouteilles deux sa poche. Il est pas vrai.
- Mais t'es pas vrai !
- Mais si, attends... Si tu bois pas, je te la mets dans ta poche.
- Si tu veux. Bon, allez, va faire ta diversion.
- Cinq sur cinq, camarade. Zou !
Pour ça je lui fais confiance, avec l'altitude, il va forcément subir les effets de l'alcool et se mettre à chanter comme une toupie, en valdinguant dans tous les sens.
Ça ne rate pas, la garde se précipite sur lui. Faudra que je songe à comment le libérer, mais ce n'est pas le moment. L'accès est libre. Et puis, l'avantage d'être un lutin, c'est que quand on n'a pas bu, on est très discret. Commençons par regarder à la fenêtre... Et là je viens de comprendre. Ce n'est pas le Père Noël qui est assis sur le grand fauteuil en ébène massif qui habituellement sert de trône au grand patron. Je fonce à l'igloo, sans me soucier si la garde m'a repéré ou pas. L'hégémonie troll doit cesser.
Il est là, le Père Noël, dans son lit, à dormir comme un gros bébé. À côté de lui, une provision de flacons. Je ne tirerai pas de conclusions hâtives. Je ne me demanderai pas si ce sont des médicaments inefficaces, ou si c'est un coup monté des trolls. Et la Mère Noël qui ne s'aperçoit de rien, mais ça rien d'étonnant, on sait dans toute l'usine qu'elle est complètement gâteuse. Il faut juste un truc pour changer ça, sans que les geôliers du Père Noël ne s'en rendent compte. Je ne peux pas briser les flacons, et si je les vide, il faut quelque chose pour remplacer... Se creuser la tête.
« Béni soit Tibli », je soupire enfin.
Pour la deuxième fois, son amour de la Killkenny va sauver la situation, je tire la petite bouteille de ma poche. On verra bien ce que ça donnera. Mais si le Père Noël se met à gonfler comme une montgolfière, c'est sûr qu'il va y avoir un coup de fouet sur la compagnie. Je ne me pose pas de question. Il faut juste que je file d'ici avant que les trolls ne s'aperçoivent de ma magouille. Et que je trouve un moyen de tirer Tibli du pétrin. Sacrebleu, ça ne va pas être un triste noël que celui-là.