13 juin 2011

Donald D-cadence

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Thème "drôle de cadeau", contrainte personnage : "Donald Duck", placer le mot "discount" dans la première ou dernière phrase



« Ça y est », se disait le canard d'affaires, « j'ai niqué Mickey ».
Lissant les plumes qui lui tenaient lieu de sourcils, Donald Duck tira une bonne latte sur son cigarillo. Depuis l'immense fenêtre de trois mètres sur cinq qui ornait ce cinquante-deuxième étage du gratte-ciel le plus moderne de Bourg-les-Canards, l'ex side-kick de la tristement célèbre souris en culotte rouge savourait sa revanche et un havane en contemplant le soleil qui descendait doucement au delà des limites de la ville. Loin, petite tâche sombre à l'horizon, le biplane de Flagada Jones surveillait l'entrée ouest de la glorieuse cité. Une route, récemment baptisée nationale 313, zigzaguait jusqu'à ce qu'il restait de Mickeyville. On s'était toujours abondamment moqué de Mickey et Donald parce qu'ils habitaient dans des villes portant leurs prénoms respectifs, honte qu'aucune autre star mondiale n'a à assumer – est-ce que Johnny habite à Johnnyville ? Désormais, le malin canard n'en avait cure. Aujourd'hui, il était le roi de Disney World.

Cependant, comme tout homme a des faiblesses, tout canard en a également. Naturellement bilieux, Donald avait un jour piqué une immense colère lors d'une réception huppée à Miami, tout près de la Mecque des parcs d'attraction dont il avait acquis 65% du capital financier à force de bons placements dans le monde pétrolier et des conseils d'un hacker professionnels pour obtenir une petite ristourne sur l'héritage de l'oncle Picsou. Cette colère, provoquée par l'impudence d'un serveur qui lui proposait un toast au foie gras – Donald, naturellement, n'aime pas trop le foie gras – lui avait coûté non seulement tout un service à champagne qu'il avait brisé avec ses petits poings de plume en baragouinant l'habituel « %@£§# » qu'on lui connaît tous, mais surtout trois points de suture à l'attention de Lady Daisy qui s'était rétamée en glissant sur les litres de Crêmant d'Alsace renversés un peu partout. Des types que l'on se refusera à appeler des journalistes, présents sur place – il faut dire que le gratin floridien avait Lindsay Lohan et deux magnats du commerce international de coke au programme de ses attractions – rapportèrent que Lady Daisy aurait alors dit : « Écoute pépère, ça fait au moins soixante-dix ans qu'on est fiancés, et si je dois te coûter plus cher en pansements qu'en bagues, autant retourner chez ma mère ! »

Aujourd'hui, donc, en ce lundi de Pentecôte, Donald Duck savourait un havane et sa revanche en jetant des fléchettes sur un vieux poster de Mickey, parce que là où le canard avait su rester un bon patriote, la souris s'était risquée à des placements foireux au Japon ou une autre souris, un certain Pikachu, lui avait placé tellement de bâtons dans les roues que Mickey avait du revendre plus des deux tiers de son capital sur Disney World. Alors, le fidèle canard, casquette de marin toujours sur le chef, avait apposé sa signature sur deux ou trois papiers et était ainsi devenu très, très riche. Seulement, en ce lundi de Pentecôte, Donald Duck venait également de voir un reportage à la télé sur des milliers de gens qui faisaient profession de foi. Et le canard, se remémorant les commandements de Walt, à savoir être toujours un modèle pour la société américaine, se disait qu'il devrait certainement faire un truc en rapport avec la chrétienté, même si présentement il s'en tamponnait un peu la nouille. Il décida alors d'un truc assez extravaguant : construire une église au coeur du parc d'attractions. Pas de problème pour les autorisations : quelques centaines de DVD de Rox et Rouky et de CD d'Hannah Montana envoyées pour des bonnes oeuvres à l'archevêque du coin et ça passerait crème. Le seul hic, c'est que pour faire une statue de la vierge qui lui convienne – c'est-à-dire une vierge un minimum bandante : rappelons que Sainte Marie fut pendant de nombreux siècles le seul personnage féminin à montrer ses seins dans l'art occidental – il lui fallait une dame canard. Et la seule cane séduisante qu'il ait en ses connaissances... Oui, il fallait rappeler Lady Daisy. Mais comment la convaincre, elle qui avait pleuré deux mois durant après cette histoire de Miami et à laquelle il n'avait adressé en tout et pour tout qu'un texto disant « désolé mais franchement entre toi et une dinde, biologiquement parlant y a pas énorme de différence » et un bon de réduction de 30% sur des paquets de mouchoir deluxe parfum framboise à prix discount. Aussi, malgré sa victoire complète sur le malheureux Mickey Mouse et un succulent partenariat avec une compagnie havanaise au tabac de qualité, malgré son nouveau bureau tout sauf cosy au cinquante-deuxième étage d'un gratte-ciel moderne, Donald piquait une colère en baragouinant le « %@£§# » qu'on lui connaît bien. Dans le couloir voisin, une femme de chambre qui n'avait jusque là jamais porté plainte, hésitait à lui remettre le billet de Lady Daisy sur lequel on pouvait lire : « Y a pas que les mouchoirs à la framboise qui sont discount, le magret que je vais faire de toi le sera aussi ! »