23 févr. 2012

Variations airbusiennes

Exercice live (le temps d'une soirée) sur VosEcrits.com
Une couleur : rouge ; un verbe à l'impératif : sortir ; un moyen de transport : l'avion ; un fruit : des dattes.

  
(aviation: du latin « avis », qui signifie « oiseau », et « actio », qui signifie « action »)


- Non alors écoute, Thierry, la blague du calendrier, elle ne fait plus rire personne.
- Rôôh mais quoi ? Des dattes ?
- C’est le dattier, qui est une variété de palmier, maintenant fais pas chier.
- D’accord, d’accord, j’arrête… C’était pour te détendre, Brigitte, c’est tout.
- Je suis parfaitement détendue, Thierry !
- Tout va bien, messieurs-dames ?

L’hôtesse de l’air blonde pencha son joli décolleté au-dessus de la tête de Thierry qui après les dattes songea à des noix de coco mais garda son jeu de mots pourri pour lui. Brigitte ne remarqua pas le regard libidineux de son mari (qu’elle ne remarquait plus depuis longtemps d’ailleurs), crispée sur son siège, les ongles vernis enfoncés dans l’accoudoir.

- Tout va bien, mademoiselle.
- Peut-être désirez-vous un verre d’eau ?
- J’ai dit tout va bien, mademoiselle.
- Vous savez, le stress au décollage est très fréquent, nous avons l’habitude...
- J’ai dit tout va bien !

L’hôtesse hésita à prononcer quelques mots d’excuse, puis se dit qu’elle n’avait pas à s’excuser, les bourgeoises n’ont qu’à pas être aussi désagréables. Les joues de Brigitte avaient viré au rouge, deux belles griffures venaient d’apparaître sur l’accoudoir gauche, et seul Thierry trouvait amusant de fabriquer un petit avion en papier avec une page du catalogue Air France.

* * *

- Vrrrroummm ! Commandant de bord appelle tous les chasseurs, commandant de bord appelle tous les chasseurs ! L’ennemi est en vue ! Sus à l’armée rouge ! Sus à l’armée rouge ! Voyants allumés, sortez vos missiles ! Ha-ha, prends ça, pourriture communiste ! Piou-piou-piou-piou-piou, on va vous exploser comme des dattes confites sur un rebord de fenêtre, buveurs de vodka ! Il va pleuvoir des pruneaux sur le Kremlin !
- Thomas, descends de cet avion, ton père vient de retrouver la voiture.
- D’accord maman !

* * *

- Mademoiselle ! Mademoiselle !
- Oui, Madame ?
- Je veux bien le verre d’eau, finalement.
- Tout de suite, Madame.
- Et dépêchez-vous, pour l’amour du ciel !
- S’il vous plaît, mademoiselle, attendez, j’aimerais bien un petit quart de rouge, pour ma part.
- Silence, Thierry.

* * *

Catherine, elle était tout pour moi. Elle m’avait eu, un soir, comme ça : « Tu es très beau, Jeannot. Sortons ensemble. » Elle portait une robe rouge, moi une chemise bleue, elle était le chaud, j’étais le froid, elle voulait un rafraîchissement, moi un peu de chaleur. On s’est plus tout de suite. Elle aimait le cinéma, la planche à voile, le jazz, la bonne cuisine, et moi les livres, le ski de fond, la country et la bonne cuisine. On s’est unis dans les odeurs de pâtes d’amande, de baklavas, de loukoums et de pudding aux dattes. Etre avec elle, c’était comme être sur un nuage, une immense barbe à papa tissée de plaisirs sucrés. Malheureusement, et comme on pouvait s’y attendre, l’un comme l’autre on a tiédi. Ça me convenait, pas elle. Elle a pris sa robe rouge, ses meilleures recettes, et un avion pour quitter notre nuage. Catherine s’est envolée ailleurs. Et pourtant, c’est moi qui me suis crashé. Catherine, elle était tout pour moi.

* * *

- Hé maman, tu l’as acheté mon p’tit camion rouge ?
- Non.
- Mais… t’avais promis !
- Raah, s’il te plaît…
- Comment tu veux que je devienne pompier plus tard si tu m’achètes pas de camion ? T’es trop nulle !
- Thomas, c’est la dernière fois que je t’emmène faire les courses…

* * *

« Chers passagers, mesdames-messieurs, notre avion entre à présent dans une zone de turbulence. Veuillez rester assis sur vos sièges et ne surtout pas paniquer. Dear customers… »
Et voilà, le moment tant redouté pour Brigitte venait d’arriver. Elle avait réussir à s’en tenir à une petite sudation lors du décollage, mais à présent, le véritable combat venait de démarrer.

- Thierry, mon cher…

Mais Thierry, qui avait une paire de boules Quiès confortablement installées au fond des oreilles, roupillait comme un bienheureux. Brigitte trouva scandaleux qu’il ne la soutienne pas plus que ça dans une pareille épreuve. Une première secousse l’empêcha de balbutier quelques mots pour protester. Une deuxième secousse provoqua trois nouvelles entailles dans l’accoudoir du fauteuil, et l’un des ongles rouges cassés.
« Mesdames messieurs… »
Brigitte n’avait pas envie d’écouter l’hôtesse de l’air blonde. Pouffiasse, à faire trois Paris – New York par semaine, forcément qu’on n’a pas le mal de l’air, on est habituée, on est entraînée. Mais une bleue comme Brigitte… aucune chance !

- Thierry !
- Hmm ?
- Thierry, sors le sac !
- Que dis-tu ma bibiche ?
- Le sac ! Le sac !
- Une seconde, j’enlève mes boules Quiès.
- Le sac ! Le s…

Et c’est ainsi qu’une feuille de salade, une purée-jambon dégueulasse et un mini muffin mal digérés se retrouvèrent sur les genoux de Thierry.



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