2 oct. 2009

Le morceau de bravoure

......Ne riposte point, je connais ton amour,
......Mais qui peut vivre infâme est indigne du jour.

Qu’est-ce qu’il était beau. Enfoiré. Pas d’erreur, il avait eu le bon rôle, celui qui fait trembler, celui qui pâme, qui se met dans tous ses états, déchiré entre vaines chimères et juste courroux.

......Je ne dis plus rien. Venge-toi, venge-moi ;
......Montre-toi digne fils d’un père tel que moi.

Corneille résonnait dans le théâtre, emplissant l’espace d’une forêt de sons. Va, cours, vole, sa voix. Sa voix. Celle de Simon, pas la mienne. Talentueux Simon, ingénieux Simon, merveilleux Simon, et gna gna gna, et moi, humble Rodrigue, je compte pour du beurre.
Pas dans la pièce, non, Rodrigue, « El Cid », quand même, ça n’est pas rien : fils d’aristo, héros de guerre, vengeur de père, épouseur de Chimène, le tout en vingt-quatre heures chrono, c’est rudement balèze, tout de même !
Mais sur scène, là, pour nos auditions de fin d’année, la part belle avait été donnée au paternel.
L’an dernier, Simon avait été félicité en Peer Gynt. Même chose l’année précédente, en Scapin cette fois-ci. Et ce soir, à nouveau, le jury succomberait à son Don Diègue. Et pour moi, les miettes, comme toujours.
J’étais un faire-valoir. Au début, je ne m’en plaignais pas, j’apprenais de son jeu, tout bleu que j’étais. Et aujourd’hui, moi aussi j’en rêvais, des feux de la rampe, des yeux du public, je voulais monter Godot, je voulais jouer Zucco. Mais il n’y en avait que pour Simon et sa passion des classiques.

La scène était sur le point de s’achever, il fallait faire une sortie.
On avait prévu la simplicité, départ sans chichi côté cour. Et les applaudissements, pour lui.
Je lorgnai mon parapluie avec indifférence. Telle était l’épée de Rodrigue : un parapluie. Le summum de la classe, la quintessence de l’élégance, tranchante alliée des hommes puissants : un parapluie. Paye ta mise en valeur. Eh ben ils allaient voir.

......Va, cours, vole et nous venge.

Enfin, il l’a dite, la célèbre formule. Je me suis emparé du parapluie et, approuvant la sentence, l’ai pointé vers le ciel tel un paratonnerre. Ça, c’était prévu. En revanche, que le parapluie s’ouvrît, voilà qui ne l’était pas. Et moi d’improviser trois pas de claquettes, totalement impromptus. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
Le déclic.
Je me suis mis à sauter, à sauter, comme un félin, comme un danseur classique. Pas de bourrée, saut de chat, pirouette, et le parapluie valsait au dessus de ma tête. J’achevai l’arabesque, montai sur demi-pointes et, m’immobilisant tout à coup, glissai fondu vers une pose jazz. Puis de repartir. Le parapluie devenait une canne, tournoyant, frappant le sol, brandie à bouts de bras puis passée derrière la tête, et les pieds qui suivaient, un tempo imaginaire. Cours, ma Durendal de toile ; vole, mon Excalibur à baleines.
Il me revint en tête une comptine allemande, apprise sur les bancs d’école.

......Grün, grün, grün sind alle meine Kleider,

Ah-ah ! « Grün », le vert, la couleur interdite des hommes de théâtre, celle qui a vu mourir Molière ! Ça te la coupe, hein, Simon ?

......Grün, grün, grün ist alles, was ich hab.

Je chante à tue-tête, cordes vocales fortissimo, et je danse toujours, mêlant un funk surréaliste à ces paroles d’enfants, répondant à Corneille, aux mouvements de parapluie.

......Darum liebe ich alles, was so grün ist,

L’exploration gestuelle devient une quasi-transe, mes bonds montent de plus en plus hauts, mes bras dessinent des arcs-en-ciel, le parapluie devient vivant.
Me croirez-vous ? Il lui a poussé des ailes !
Je me suis envolé. Je suis allé crever le plafond. Par ici les étoiles, par ici la lune. « Plus loin, plus haut, des ailes, des ailes ! » Tel le clown de Banville, nouvel Icare, j’irais rejoindre Cyrano dans les lointains empires sélénites.

......Weil mein Schatz ein Jäger, Jäger ist.

« Jäger », le jardinier. Ah oui, c’est vrai, je devais sortir côté cour. J’en suis déjà loin lorsque je lâche les dernières paroles.
C’est heureux, d’ailleurs, le reste de la troupe m’aurait incendié. Pour l’heure, le metteur en scène devait s’évanouir en coulisses, et Simon faire dans son froc.
Qu’à cela ne tienne.
Loin de la scène, loin d’eux, je poursuivais ma chanson, accompagné de grands oiseaux blanc. Les nuages semblaient proches, si proches, et mon parapluie volait toujours.
Je l’avais eue, mon heure de gloire.



5 sept. 2009

Borka

C’est l’histoire d’un petit garçon…
Une fable, en fait.
Qui s’appelait Borka, et qui avait une bicyclette rouge.
Blondinet, pommettes roses et nez en trompette, l’œil vif et avide d’agitation d’un gamin de cinq ans - d’ailleurs, il avait cinq ans, - Borka était tout fier de son beau vélo rouge, tout clinquant, tout pétulant, qui réfléchissait la lumière du soleil quand celle-ci s’approchait d’un peu trop près. Oui, Borka aimait son vélo rouge comme il aurait aimé son frère, s’il en avait eu un.

Mais un jour, un jour tout à fait ordinaire, banal comme sauce tomate sur pizza, Borka se réveillant, baillant, s’étirant, se levant tant bien que mal, à l’identique de la veille, filant à la cuisine avaler son bol de chocolat, ce jour-là donc, il n’avait pas très faim, et le chocolat resta au fond du bol.
Il voulait voir le vélo. Sans savoir pourquoi. Là, comme ça, soudainement.
Il se rendit dare-dare au garage et… stupeur, il n’y avait qu’une bicyclette rouge.
Elle n’était plus belle, seulement rouge et bicyclette.
Il eut beau chercher partout, fouiller par ci, gratter par là, soulever un tapis, retourner une armoire et, bien sûr, secouer l’engin dans tous les sens, le « belle » s’était comme volatilisé.

Comme tout gamin de cinq ans qui se respecte, Borka commença par pleurer.
Ça soulage, parait-il.
Puis il eut une idée. Puisque son vélo n’avait plus sa beauté, il allait la lui rendre par tous les moyens.
Le guidon, d’abord. Aucune esthétique, ces poignées en caoutchouc, manque de couleur, de forme, de classe.
- Allez, au boulot !
Qu’il rugit, le gamin.
Il y eut d’abord, enroulées autour, des feuilles de papier multicolores décorées au feutre. Puis vinrent des fils jaunes, oranges et bleus, noués en guirlande de part et d’autre du cadre. En parlant de guirlandes, celles du sapin de Noël s’ajustèrent à la courroie, clignotant au rythme d’une dynamo trouvée par hasard dans un tiroir.
Ce n’était que le début.
La selle, minable triangle aux bords arrondis, Borka y fixa un coussin en patchwork, avant d’opter pour un motif peau de vache, blanc ocellé de noir mais l’odeur en moins.
Tiens, l’odeur. Le petit sapin en carton suspendu au rétro de la voiture de maman, senteurs des forêts canadiennes et tout le tralala, le voilà juché à la proue du vaisseau, telle une sirène en bois ou une tête de drakkar, paré à guider l’embarcation au gré des quatre vents.
Pour eux, Borka bricola une hélice, puis un cerf-volant avec un drapeau de pirate. Il s’imaginait déjà trônant sur son navire, bandeau sur l’œil et sabre en main.
- Barre à tribord, moussaillons, cap sur la caisse à outils !
De la lumière, de la couleur, encore et toujours plus, fantaisie et panache se doivent d’aller de pair.
La roue arrière, telle un dernier wagon, se vit surmontée d’un lampion chinois, posé sur des plumes de paon sensées masquer le garde-boue. Ce dernier eut beau rechigner, son voisin de devant lui donnait une belle réplique, coiffé qu’il était de frous-frous et de dentelles, arborant dignement son allure french cancan, saluant le badaud hasardeux pour peu que le vent soit joueur.

Et puis il y eut une paire d’ailes, une queue de castor en coton, les stickers phosphorescents d’un paquet de lessive, un siège passager pour nounours, un gyrophare et une civière, un repose-tétine et une boîte à mitaines, un harmonica et trois coquillages, deux cannes à pêche fixées en croix pour une reconversion dans la mâture, faisant flotter de grands napperons blancs et mauves; et puis des cordes, du parmesan, un tourne-disques, un portrait de Louis XI...

Ce ne fut qu’après avoir couronné le tout d’un cactus nain que Borka estima son ouvrage achevé. Il recula de quelques pas pour contempler l’ensemble.
Drame et stupeur.
Son vélo ne ressemblait plus du tout à un vélo. En fait, il ne ressemblait à rien du tout.
De la belle bicyclette rouge, il ne restait que le rouge, et encore: entre les plumes, la dentelle, la ficelle et les autocollants, le rouge se faisait bien discret.
- Qu’est-ce que j’ai fait ?!
Le cri de détresse, tout en trémolos.
Borka était triste, son élan d’artisan inspiré s’était avéré un bien beau fiasco.
En plus, il ne pouvait même plus faire de vélo: il avait orné les pédales d’abat-jour en porcelaine.
- Maman va être furax…
Fessée parentale à la moindre casse, doublement puni.
Désemparé, de nouvelles larmes perlèrent, plus nombreuses.

Et puis un souvenir.
Son grand-père lui avait un jour parlé d’une vieille dame qui vivait sur une colline à une demi lieue d’ici. Pas la porte à côté pour un petit garçon à pieds, mais d’après son grand-père, si un jour il se trouvait confronté à un problème insoluble, c’était chez elle qu’il trouverait le meilleur conseil.
D’aucuns, semble-t-il, la disaient un peu fée, mais cela n’a guère d’importance.
Arrivé là-bas, Borka fut étonné de la simplicité de la demeure, qui n’était qu’une modeste cabane, avec une seule porte et une seule fenêtre. Mais aux alentours, de l’herbe sauvage et des bosquets. Quel calme.
Mais la plus forte impression se fit lorsque la dame ouvrit.
C’était une de ces femmes de pierre précieuse: peau d’ébène, cheveux d’argents, yeux proches de l’améthyste, et aucune ride ne parvenait à ternir sa beauté. Sobrement vêtue d’une robe en lin, elle avait l’élégance des plus dignes reines de contes de fée, et même les surpassait tant elle semblait à la fois naturelle et irréelle.
Pour Borka, elle fut comme une apparition, un ange sans âge, immortel.
Nul doute que son grand-père l’avait aimée.

- Bonjour madame.
- Entre, mon enfant.
- Je m’appelle Borka et j’ai un problème.
- Pourquoi venir me voir, tes parents ne peuvent pas t’aider ?
- C’est mon papy qui m’a dit.

Elle considéra brièvement le faciès juvénile, lui rajouta quelques ans, forcit ces traits et changea les cheveux de paille en mousse brune, et se souvint de cet homme qu’elle avait connu quelques décennies plus tôt.

- Montre-moi, répondit-elle simplement.

Il repartirent donc en sens inverse. Le garçonnet montrait le chemin, mais semblait plus suivre la vieille femme que la guider. D’ailleurs, il ne parvenait pas à en détacher les yeux. Ils ne parlèrent pas, mais Borka n’en ressentit aucun malaise.

- Voilà, c’est ici, dit-il en montrant la porte du garage.

Elle entra, prit connaissance de la situation, et répondit, toujours aussi simplement :

- Attends-moi ici.

Il la laissa donc seule avec son engin à pédales et cerf-volant.
Mais tout docile qu’il pouvait être lorsqu’elle était à côté, maintenant qu’elle avait disparu…
Après un laps de temps indéterminé, passé à creuser une tranchée avec le Caporal Nounours, destinée à devenir un circuit à billes, Borka se décida finalement à voir ce qu’il était advenu de son vélo.
Elle l’attendait au devant.

- J’ai fini, elle dit.

Une bise légère déposée sur le front du petit, et elle était repartie dans un mouvement de robe, comme un courant d’air.
Une fois la dame perdue de vue, Borka se précipita dans le garage, et y trouva le fruit d’un travail de fée.
Il y avait une bicyclette rouge, la plus belle du monde.

16 avr. 2009

Schtroumpf dormeur

Exercice live (le temps d'une soirée) sur http://www.vosecrits.com/
Contraintes : gaufre - schtroumpf dormeur
(* note: chez Peyo le schtroumpf est paresseux, mais comme ça pas de soucis de droit d'auteur) :o)




Rrrr…
Zzzz…
Rrrr…
Zzzz…

- Yo, Schtroumpf Dormeur !
Rrzz?
- Ça schtroumpfe ?
Rrzz !
- Hey, on se réveille !
Ngrrmph… beuh ?
- Debout, c’est l’heure d’aller schtroumpfer !
Oh putain…
- Allez Schtroumpf Dormeur, le p’tit-schtroumpf est servi ! Regarde, le Schtroumpf Pâtissier m’a apporté des gaufres, elles ont l’air vraiment schtroumpf !
Gnn…
- Bon, c’est pas sérieux dis-donc ! Le Grand Schtroumpf il schtroumpfe que tu schtroumpfes trop, et que si tu continues comme ça tu vas finir complètement schtroumpf, alors debout !
Nga…
- Et que ça schtroumpfe !
D’accord, d’accord, j’arrive.
- Ah, ben tout de même !
Mais qu’est-ce que je fous là… Qu’est-ce qu’il me veut…
- Schtroumpfe-toi, on est en retard !
J’suis où, là ? Qui c’est, çui-là ?
- Bon, tu viens oui ou schtroumpf ?
Arf, comprends rien. Que baragouines-tu, ô vénérable interlocuteur ?
- Tant pis, moi j’y vais. Salut.
Hé, non ! Qu’est-ce qu’il faut que je fasse ? Faut que j’aille où ? C’est qui ce grand Croumf pâtissier endormi ?
- (part en schtroumpflottant)
Ok, ok, je te suis, je te suis. Houlà ho.
- Tiens, te revoilschtroumpf ?
Ouais, ouais, me revalstrouffe, si tu veux, quelque chose comme ça. Holà hou.
- Cool, schtroumpfons.
Non, deux secondes, j’ai pas compris. Et pourquoi t’es torse-nu ? C’est indécent.
- Hé ben, tu m’as l’air tout pâlot. Tu schtroumpfes peut-être quelque chose.
Hein ? Ah oui, tiens, c’est possible, c’est vrai que je me sens un peu flagada. Mais de là à chtroufper quelque chose… attends, j’ai dis quoi là ?
- Oui, je trouve que ton bleu schtroumpfe un peu ciel.
Keuwa ?
- Et cobalt en dessous des yeux.
Ciel, cobalt ? Qu’est-ce que c’est que ces schtroumpferies… une petite minute, je viens de dire schtroumpferies ? Minute-schtroumpfillon, qu’est-ce qu’il me schtroumpfe ? J’suis tout bleu !
- Alors Schtroumpf Dormeur, tu prends racine ?
Schtroumpf Dormeur… mais c’est moi le Schtroumpf Dormeur ! Oh putain, je capte… passage au dialogue : - Hello Schtroumpf !
- Ah, tout de même, j’étais presque inquiet.
- Ce n’est rien, je crois que j’ai trop schtroumpfé. J’ai dû schtroumpfer que j’étais un humain, et le rêve s’est schtroumpfsuivi dans la schtroumpfalité.
- Quand je te disais qu’à force de schtroumpfer, tu finirais complètement schtroumpf…
- Oh, ta schtroumpf. Passe-moi plutôt une gaufre.

8 avr. 2009

Courte lignes (Antonin & Biscotte)

B - Hé Antonin !
A - Quoi, Biscotte ?
B - Tu ne devineras jamais ce qui m’est arrivé. Mais alors, jamais.
A - Sûrement.
B - Je te jure, tu ne vas pas me croire.
A - Je te crois.
B - Ha ! Ha ! Ce que t’es drôle toi alors !
A - Oui.
B - Bon je raconte. Figure-toi que hier au soir Martine me téléphone, complètement affolée, parce que son chat avait disparu. Et bien tu me crois si tu veux, mais le fils Crémieux… tu sais le fils Crémieux ? (un temps) Le fils Crémieux, le voisin d’Isabelle ? (un temps) En face de la pharmacie Mauger ?
A - Oui, oui, le fils Crémieux, je sais.
B - La pharmacie Mauger dont la caissière brune a eu une aventure avec le fils aîné du pâtissier de la rue Saint…
A - Je sais.
B - Oh. (un temps) Et bien figure-toi que le fils Crémieux - qui en pince pour Martine si tu savais ! - et bien figure-toi que le fils Crémieux lui en a acheté un autre !
A - Un autre ?
B - Oui !
A - Un autre quoi ?
B - Mais, un autre chat !
A - Ah !
B - Suis un peu, voyons !
A - Tu es gentille.
B - Non parce que, je ne veux pas dire de mal, mais des fois on dirait vraiment que t’es ailleurs, comme un bananier dans un champ de potirons.
A - Gentille.
B - C’est un angora. Il est trognon, si tu savais, un vrai petit amour ! Et bien Martine tu sais ce qu’elle a fait ? Tu sais pas ce qu’elle a fait ?
A - Non.
B - Et bien elle l’a mis à la porte !
A - Le chat ?
B - Mais non - ce que tu es sot ! - le fils Crémieux bien sûr ! Pas plus tard que ce matin : il se fait beau, bien coiffé, habillé chic, tout impeccable, frappe à la porte, se fait ouvrir, sourit comme un gros niais, bredouille deux trois syllabes, rougit, s’excuse, tend le chat à Martine et s’enfuit en courant. Le pauvre chou !
A - Oui enfin, vois-tu, on n’appelle pas ça se faire mettre à la porte, Biscotte.
B - Mais si, parce qu’en fait il était entré, et Martine tellement qu’elle était rigide ça l’a mis tout mal à l’aise. C’est sa froideur qui l’a mis à la porte.
A - Ah.
B - Eh oui, c’est pourtant pas compliqué.
A - Non, évidemment.
B - Ah là là, des fois Antonin tu m’inquiètes, t’es vraiment comme une pomme de terre sautée dans une rôtisserie.
A - Ouais. Et le chat ?
B - Le chat ? Oh ben j’en sais rien, il faudrait que je téléphone à Martine.
A - Tant mieux, fais donc.
B - Mais je crois avoir entendu la nièce de la poissonnière dire à Monsieur Dumas que vers quatorze heures trente Martine s’était rendue au marché pour acheter du thon. C’était peut-être pour nourrir le chat ?
A - Probablement.
B - Oui parce que je sais de source sûre que Martine n’est pas très thon, donc ce ne pouvait être que pour le chat.
A - C’est certain.
B - Ou alors elle a invité Sylvia à dîner. Parce que Sylvia, elle, elle aime le thon, oh que oui, et c’est de notoriété publique, hein ?
A - Possible.
B - (un temps) Ou alors c’est Mariette ? Je ne sais plus, c’est Mariette ou Sylvia qui adore le thon ?
A - Miaou.
B - Oh, arrête, hein, c’est une question très sérieuse. Imagine qu’on invite Sylvia à dîner et que c’est Mariette qui aime le thon, on aura l’air malin si on ne sait pas ! Qu’est-ce qu’il faut que j’achète, moi ? Et si alors on invite Mariette en supposant que c’est bel et bien elle qui aime le thon mais qu’en fait finalement c’était Sylvia, de quoi j’ai l’air, moi Biscotte ?
A - Invite les deux et on en parle plus. Ou prends du hareng, pour changer.
B - Hé ! Tu sais que c’est une super idée ? Le changement, c’est une bonne chose. C’est ce que je dis toujours a une copine qui s’est faite larguer : va chez le coiffeur.
A - Soit. Et le chat ?
B - Quel chat ?


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Saynète mise en vidéo en mars 2011 avec Défi Ciné pour Kino Session #27
Avec Mathilde Faure & Edouard Pacaud

 

27 janv. 2009

Le brevet



Un bureau, deux chaises. Un employé bien habillé est plongé sur la paperasse.
Un type rentre.


LE TYPE — Bonjour, je viens pour un brevet.
 
L'EMPLOYÉ — Bonjour monsieur, asseyez-vous je vous prie.
Le type s'assoit.
LE TYPE — Je viens pour faire breveter la guerre.
 
L'EMPLOYÉ — Je vous demande pardon ?
LE TYPE — Je viens pour faire breveter la guerre.
 
L'EMPLOYÉ — La...? J'ai peut de n'avoir pas bien entendu. Vous avez dit...
LE TYPE — La guerre, oui !
 
L'EMPLOYÉ — La guerre ?
LE TYPE — Je me tue à vous le dire.

L'EMPLOYÉ — Mais, monsieur, ce n'est pas possible !
LE TYPE — Ah ? Pourquoi donc ?

L'EMPLOYÉ — Mais enfin, on ne peut pas faire breveter la guerre !
LE TYPE — Navré, je n'en vois pas la raison.

L'EMPLOYÉ — Allons, c'est ridicule, la guerre existe depuis la nuit des temps ! C'est même, peut-être pas la première, mais au moins l'une des premières inventions humaines connues.
LE TYPE — Et alors ? Personne n'en revendique l'exclusivité, que je sache.

L'EMPLOYÉ — Évidemment, la guerre appartient au genre humain tout entier ! La faire breveter, ce ne serait pas... logique !
LE TYPE — Non, mais ce serait très lucratif. Éclairez-moi sur ce point : pas besoin de logique pour entrer dans le monde de la finance ?
 
L'EMPLOYÉ — Je ne vous comprend pas.
LE TYPE — Eh bien je trouve que c'est un très bon placement : imaginez que les chefs d'État aient à me verser de lourdes indemnités chaque fois qu'ils décident d'envahir leur voisin.
Gros profits en perspectives ! Trouvez-vous cela logique ?
L'EMPLOYÉ — Pas vraiment, non.
LE TYPE — Vous voyez, j'ai donc raison.
L'EMPLOYÉ — Je vois… vous pensez que cela pourrait réduire le nombre de conflits ?
LE TYPE — Certainement pas, ça me ruinerait !

L'EMPLOYÉ — Hein ?
LE TYPE — Ben oui, si les dirigeants ne font pas la guerre, je ne touche pas mes droits. Il faut donc bien, au contraire, que les conflits demeurent, et ma fortune est faite !

L'EMPLOYÉ — Vous n'avez donc aucune morale ?
LE TYPE — Je vous l'ai dit, l'économie ne s'apparente à aucune forme de logique. Alors la morale, vous pensez...

L'EMPLOYÉ — Soit... Cependant, une objection : je ne peux déposer le brevet si vous ne pouvez me garantir aucun lien entre vous et l'objet.
LE TYPE — En d'autres termes, est-ce que je sais faire la guerre ?
 
L'EMPLOYÉ — En d'autres termes, oui.
LE TYPE — Facile. Regardez.
Le type ôte sa veste, dévoilant une ceinture d'explosifs. Le type saute, la scène avec.

L'EMPLOYÉ (à part) Le salaud ! Tout à pété ! (haut) Très bien monsieur, je pense que ça ira. Il me faut juste vos noms et date de naissance, deux ou trois formulaires à remplir avec signature, et tout est en ordre. Monsieur ? Monsieur ?